lundi 17 octobre 2011

ALBERT CAMUS. L'ÉTRANGER


L’étranger. Roman (1942) 

Première partie 


Aujourd'hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. J'ai  reçu un  télégramme de  l'asile : « Mère décédée. Enterrement demain. Sentiments distingués. » Cela  ne veut rien dire. C'était peut-être hier. 
L'asile de vieillards est à Marengo, à quatre-vingts kilomètres d'Alger. Je prendrai l'autobus à  deux heures et j'arriverai dans l'après-midi. Ainsi, je pourrai veiller et je rentrerai demain soir. J'ai demandé deux jours de congé à mon patron et il ne pouvait pas me les refuser avec une excuse [10] pareille. Mais il n'avait pas l'air content. Je lui ai même  dit :  « Ce  n'est  pas  de  ma  faute. »  Il  n'a  pas  répondu. J'ai  pensé alors que  je  n'aurais  pas  dû  lui  dire  cela.  En  somme,  je n'avais pas à m'excuser. C'était plutôt à lui de me présenter ses condoléances. Mais il le fera sans doute après-demain, quand il me verra  en  deuil.  Pour  le  moment,  c'est un peu comme si maman n'était pas morte. Après l'enterrement, au contraire, ce sera une affaire classée et tout aura revêtu une allure plus officielle.


L'Etranger lu par Albert Camus